Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 05/02/2020, 428478

Judgement Number428478
Date05 février 2020
Record NumberCETATEXT000041541101
CounselSCP SPINOSI, SUREAU
CourtCouncil of State (France)
Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 428478, par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 février et 27 septembre 2019 et le 17 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité français pour le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, dit " UNICEF France ", la Convention nationale des associations de protection de l'enfance, Défense des enfants international France, Médecins du monde, Médecins sans frontières, le Secours catholique, la Fédération des acteurs de la solidarité, la Fondation de l'armée du salut, la Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, la Ligue des droits de l'homme, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, la Fédération de l'entraide protestante, l'Association nationale des assistants de service social, l'Union syndicale Solidaires et l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-57 du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 428826, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 mars et 22 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;
- la décision du 15 mai 2019 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par UNICEF France et autres et par le Conseil national des barreaux ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-797 QPC du 26 juillet 2019 statuant sur les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par UNICEF France et autres et par le Conseil national des barreaux ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat du Comité français pour le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, dit " UNICEF France " , de la Convention nationale des associations de protection de l'enfance, de la Défense des enfants international France, de Médecins du monde, de Médecins sans frontières, du Secours catholique, de la Fédération des acteurs de la solidarité, de la Fondation de l'armée du salut, de la Cimade, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s, de la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, de la Ligue des droits de l'homme, du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des avocats de France, de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, de la Fédération de l'entraide protestante, de l'Association nationale des assistants de service social, de l'Union syndicale " Solidaires " et de l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat du Conseil national des barreaux ;




Considérant ce qui suit :

1. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, le comité français pour le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, dit UNICEF France, et dix-huit autres associations, fondations ou syndicats, d'une part, et le Conseil national des barreaux, d'autre part, demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes.

Sur l'intervention de la Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif et du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples :

2. La Fédération des établissements hospitaliers, et d'aide à la personne, privés à but non lucratif et le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples justifient, par leur objet statutaire et leur action, d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Ainsi, leur intervention au soutien de la requête n° 428478 est recevable.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. Lorsque, comme en l'espèce, un décret doit être pris en Conseil d'Etat, le texte retenu par le Gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu'il avait soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier. Le respect de cette exigence doit être apprécié par ensemble de dispositions ayant un rapport entre elles.

4. En vertu du IV de l'article 71 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, l'article 51 de cette loi, qui a créé l'article L. 611-6-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour l'application duquel ont été prises certaines des dispositions du décret attaqué, entre " en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat, et au plus tard le 1er mars 2019 ".

5. Le texte publié au Journal officiel de la République française du décret attaqué ne précise pas la date à laquelle il entre en vigueur et, à son article 6, fixe au lendemain de sa publication la date d'entrée en vigueur de l'article 51 de la loi du 10 septembre 2018. Or il ressort de l'examen des pièces versées au dossier par le ministre de l'intérieur que tant le projet initial du Gouvernement que le texte adopté par la section de l'intérieur du Conseil d'Etat fixaient au 1er janvier 2019 la date d'entrée en vigueur de l'article 51 de la loi du 10 septembre 2018 et du décret lui-même. Par suite, l'article 6 du décret attaqué a été adopté en méconnaissances des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret. En revanche, le décret ne comporte pas d'autre disposition qui différerait tant du projet initial du Gouvernement que du texte adopté par la section de l'intérieur. Il y a lieu d'annuler, par suite, l'article 6 du décret attaqué, ce dont il résulte que ce décret n'a été légalement applicable qu'à compter du 1er mars 2019, date de l'entrée en vigueur de l'article 51 de la loi du 10 septembre 2018 en l'absence d'autre date fixée par décret en Conseil d'Etat.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

6. L'article L. 112-3 du code de l'action sociale définit les finalités de la protection de l'enfance en prévoyant qu'elle a notamment " pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge (...) ". En vertu de l'article L. 221-1 du même code, le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé notamment d'apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger leur santé, leur sécurité ou leur moralité ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social et de mener en urgence des actions de protection en leur faveur. Aux termes de l'article L. 223-2 du même code : " Sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s'il s'agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s'il est mineur émancipé. / En cas d'urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord, l'enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. / (...) / Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l'enfant...

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