Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 13/11/2019, 412255, Inédit au recueil Lebon

Judgement Number412255
Date13 novembre 2019
Record NumberCETATEXT000039394273
CounselSCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN
CourtCouncil of State (France)
Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 412255, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 juillet et 9 octobre 2017 et le 17 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 412286, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juillet et 9 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'union des jeunes avocats (UJA) de Paris demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

3° Sous le n° 412287, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juillet et 9 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Fédération nationale des unions des jeunes avocats (FNUJA) demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

4° Sous le n° 412308, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juillet et 10 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'ordre des avocats au barreau de Paris demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

5° Sous le n° 415651, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 novembre 2017, 13 février 2018 et 1er octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Syndicat des avocats de France demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ainsi que la décision implicite et la décision expresse du 25 octobre 2017 du garde des sceaux, ministre de la justice rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'organisation judiciaire ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat du Conseil national des barreaux , à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'ordre des avocats au barreau de Paris, de la Conférence des bâtonniers et de l'ordre des avocats au barreau de Valence et à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat du Syndicat des avocats de France ;




Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le décret du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile et les décisions rejetant le recours gracieux formé par le Syndicat des avocats de France contre ce décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les interventions au soutien de la requête n° 412308 :

2. L'ordre des avocats au barreau de Valence et la Conférence des bâtonniers justifient, eu égard à la nature et à l'objet du litige, d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Ainsi, leurs interventions au soutien de la requête de l'ordre des avocats au barreau de Paris sont recevables.



Sur les conclusions à fin d'annulation du décret attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe du décret :

3. En premier lieu, il résulte des articles 34 et 37 de la Constitution que les dispositions de la procédure à suivre devant les juridictions relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire dès lors qu'elles ne concernent pas la procédure pénale et qu'elles ne mettent en cause aucune des règles, ni aucun des principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi.

4. Les dispositions des articles 1er, 2, 7 à 13, 17, 22, 34 et 40 du décret attaqué, qui suppriment la voie du contredit et soumettent les exceptions d'incompétence à la voie d'appel, soumettent les parties à l'instance d'appel à des obligations procédurales, tenant notamment à la forme de leurs écritures et aux délais dans lesquels elles doivent les produire, et précisent les conséquences procédurales attachées au non-respect de ces obligations, n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet ni pour effet de mettre en cause des règles ou principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi. Par suite, le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire n'était pas compétent pour édicter de telles dispositions doit être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces des dossiers, notamment de l'avis du Conseil d'État en date du 24 avril 2017 dont le texte a été versé au dossier par la garde des sceaux, ministre de la justice, que le texte du décret attaqué ne diffère pas de celui adopté par le Conseil d'État. Dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait intervenu sans que soient respectées les règles régissant la consultation du Conseil d'Etat ne peut qu'être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat. Il détermine, en concertation avec le ministre de la justice, les modalités et conditions de mise en oeuvre du réseau indépendant à usage privé des avocats aux fins d'interconnexion avec le "réseau privé virtuel justice". Il assure l'exploitation et les développements des outils techniques permettant de favoriser la dématérialisation des échanges entre avocats ".

7. Les dispositions du décret attaqué, qui ont pour objet de modifier les règles applicables en matière de procédure civile, ne modifient pas, par elles-mêmes, les modalités et conditions de mise en oeuvre du réseau indépendant à usage privé des avocats aux fins d'interconnexion avec le réseau privé virtuel justice. Dès lors, la FNUJA et l'UJA de Paris ne sont, en tout état de cause, pas fondées à soutenir que le décret aurait dû, pour ce motif, être préalablement soumis à la consultation du Conseil national des barreaux et que, faute de l'avoir été, il aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière.

8. En quatrième lieu, lorsque l'autorité compétente demande, sans y être légalement tenue, l'avis d'un organisme sur un projet de texte, elle doit procéder à cette consultation dans des conditions régulières. Néanmoins, elle conserve, dans cette hypothèse, la faculté d'apporter au projet, après consultation, toutes les modifications qui lui paraissent utiles, quelle qu'en soit l'importance, sans être dans l'obligation de saisir à nouveau cet organisme.

9. En l'espèce, il ressort des pièces des dossiers que le garde des sceaux, ministre de la justice a consulté, en octobre 2016, le Conseil national des barreaux sur un projet de décret relatif à l'appel en matière civile. Les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir de ce que le projet de décret a été modifié après la consultation du Conseil national des barreaux pour soutenir que les dispositions litigieuses seraient intervenues à la suite d'une procédure irrégulière, dès lors que la consultation du Conseil national des barreaux n'avait pas un caractère obligatoire.

En ce qui concerne la légalité interne du décret :

10. L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au...

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