Conseil d'État, Juge des référés, 10/03/2020, 438592, Inédit au recueil Lebon

Judgement Number438592
Date10 mars 2020
Record NumberCETATEXT000041720067
CounselSCP DE NERVO, POUPET
CourtCouncil of State (France)

Vu la procédure suivante :

Par deux requêtes, enregistrées le 12 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, sous les n° 438592 et n° 438594, la Coordination rurale union nationale, d'une part, et la chambre départementale d'agriculture de la Vienne, d'autre part, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;

2°) chacune, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie compte tenu du caractère grave et immédiat des préjudices économiques générés et subis par les exploitants au regard des surfaces concernées et en l'absence de mesures transitoires adaptées ;
- les moyens invoqués sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;
- l'arrêté a été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence de l'étude d'impact prévues par les dispositions impératives de la circulaire du 12 octobre 2015 relative à l'évaluation préalable des normes et à la qualité du droit ;
- l'arrêté contesté méconnaît le principe de sécurité juridique et l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme, dès lors que, s'agissant de l'article 8, insérant un article 14-1 à l'arrêté du 4 mai 2017, fixant une distance de 20 mètres pour les traitements effectués avec certains produits phytopharmaceutiques, il se borne à renvoyer au paragraphe 3.6.5 de l'annexe II du règlement (CE) n° 1107/2009, qui ne définit pas la notion de " substance active considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l'homme " ainsi qu'à une liste identifiant ces substances qui n'est pas établie ;
- s'agissant des mêmes dispositions, l'arrêté méconnaît également le principe de confiance légitime et les dispositions du règlement (CE) n° 1107/2009 dès lors qu'il impose aux agriculteurs la responsabilité de vérifier eux-mêmes si leurs produits contiennent les substances actives concernées alors même qu'étant été autorisées, elles devraient pouvoir être utilisées en toute confiance ;
- il méconnaît le principe de sécurité juridique et de confiance légitime en ce qu'il ne prévoit pas de mesures transitoires en méconnaissance des dispositions de l'article L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- s'agissant de l'article 8 insérant un article 14-2 à l'arrêté du 4 mai 2017, il méconnaît le principe de sécurité juridique ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme dès lors que ces dispositions sont incomplètes, notamment en ce que l'annexe 4 à laquelle elles renvoient à défaut d'une liste des moyens et combinaisons de moyens permettant d'adapter les distances de sécurité ;
- il est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans la définition des mesures permettant une réduction des distances de sécurité ;
- l'arrêté attaqué porte une atteinte injustifiée à la compétitivité des entreprises agricoles, en méconnaissance du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 fixant les dispositions pour la gestion des dépenses relatives, d'une part, à la chaine de production des denrées alimentaires, à la santé et au bien-être des animaux et, d'autre part, à la santé et au matériel de reproduction des végétaux ;
- il porte une atteinte disproportionnée aux droits et libertés constitutionnellement protégés de propriété et d'entreprendre.


Par un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés n'est de nature à faire naître un doute sérieux.




Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution ;
- le traité pour le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
- la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2015-1170 du 13 octobre 2014 ;
- la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 ;
- le décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Coordination Union rurale et la chambre départementale d'agriculture de la Vienne, et d'autre part, le Premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire, la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.


Ont été entendus au cours de l'audience publique du 5 mars 2020 à 14 heures :

- Me Poupet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de la Coordination rurale union nationale et de la chambre départementale d'agriculture de la Vienne ;

- les représentants de la Coordination rurale union nationale et de la chambre départementale d'agriculture de la Vienne ;

- les représentants du ministre de la transition écologique et solidaire ;

- les représentants du ministre de l'agriculture et de l'alimentation ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au vendredi 6 mars 2020 à 18 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 6 mars 2020 dans les deux instances, présenté par la Coordination rurale union nationale et la chambre départementale d'agriculture de la Vienne qui maintiennent leurs conclusions et leurs moyens et confirment la présentation d'un nouveau moyen exposé à l'audience tiré d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété de l'arrêté attaqué en ce qu'il prévoit une zone de non-traitement de 20 mètres non préconisée par l'ANSES dans son avis du 14 juin 2019.

Vu le courriel du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 6 mars 2020 par lequel il fait savoir qu'il n'entend pas produire de nouvelles observations.




Considérant ce qui suit ;

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

Sur le cadre juridique du litige :

2. D'une part, aux termes de l'article 12 de la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable : " Les Etats membres, tenant dûment compte des impératifs d'hygiène, de santé publique et de respect de la biodiversité ou des résultats des évaluations des risques appropriées, veillent à ce que l'utilisation de pesticides soit restreinte ou interdite dans certaines zones spécifiques. (...) Les zones spécifiques en question sont : / a) les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 (...) ". Le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable retient à son point 8 que : " Le présent règlement a pour objet de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l'environnement, et dans le même temps de préserver la compétitivité de l'agriculture communautaire. Il convient d'accorder une attention particulière à la protection des groupes vulnérables de la population, notamment les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants. (...) ". Selon l'article 3 de ce règlement, font partie de ces groupes vulnérables " les femmes enceintes et les femmes allaitantes, les enfants à naître, les nourrissons et les enfants, les personnes âgées et les travailleurs et habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme ".

3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des...

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