Conseil d'État, Juge des référés, 19/06/2020, 440916, Inédit au recueil Lebon

Date19 juin 2020
Judgement Number440916
Record NumberCETATEXT000042040572
CourtCouncil of State (France)

Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux nouveaux mémoires et deux mémoires en réplique, enregistrés les 28 mai, 29 mai, 10 juin et 11 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association le Conseil national du logiciel libre, l'association Ploss Rhônes-Alpes, l'association SoLibre, la société Nexedi, M. E... J..., M. L... B..., M. Q... D..., Mme C... N..., M. F... A..., le Syndicat national des journalistes, le Syndicat de la médecine générale, l'Union française pour une médecine libre, M. M... O..., M. G... K..., l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT, l'Union fédérale médecins, ingénieurs, cadres, techniciens CGT santé et action sociale, Mme R... P... et M. H... I... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'ordonner toutes mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données, notamment en enjoignant au ministre des solidarités et de la santé d'en suspendre l'exécution, par l'arrêté de ce ministre du 21 avril 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en ce qu'il confie la collecte et le traitement de données de santé à la plateforme " Health Data Hub ".



Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie eu égard à la situation d'état d'urgence sanitaire, à la portée de la mesure critiquée, permettant une collecte extrêmement large de données sensibles, de façon irréversible, et aux réserves émises par la Commission nationale de l'informatique et des libertés dans son avis sur le projet d'arrêté ;
- sont en cause le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données personnelles ;
- l'arrêté critiqué porte une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés en raison de l'absence de conformité aux exigences relatives au traitement des données, concernant l'anonymisation des données, les droits des personnes, l'indépendance de la gouvernance de la plateforme et de sécurisation de l'accès des sous-traitants, de l'absence de conformité aux exigences d'hébergement des données de santé résultant de l'article L. 1111-8 du code de la santé publique et de l'absence de garantie contre un possible transfert des données dans des Etats tiers tels que les Etats-Unis du fait du choix de la société Microsoft, au terme d'une procédure non transparente ;
- les mesures prévues ne sont ni nécessaires, ni proportionnées, ni adaptées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect à la vie privée et au droit à la protection des données personnelles.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit d'observations.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Conseil national du logiciel libre et les autres requérants et, d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé, le Premier ministre, la Plateforme des données de santé et la Caisse nationale de l'assurance maladie ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 11 juin 2020, à 11 heures :

- les représentants du Conseil national du logiciel libre et des autres requérants ;
- les représentants du ministre des solidarités et de la santé et de la Plateforme des données de santé ;

à l'issue de cette audience, le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction en dernier lieu au 16 juin 2020 à 16 heures ;

Vu les nouveaux mémoires et les nouvelles pièces, enregistrés les 12, 13, 15 et 16 juin 2020, présentés par le ministre des solidarités et de la santé et la Plateforme des données de santé, qui tendent aux mêmes fins que leur précédent mémoire ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 16 juin 2020, présenté par le Conseil national du logiciel libre et les autres requérants, qui conclut aux mêmes fins que la requête ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
- le code de justice administrative ;




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

Sur l'office du juge des référés :

2. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

3. Le droit au respect de la vie privée, qui comprend le droit à la protection des données personnelles, constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Sur les circonstances et le cadre juridique du litige :

4. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Au vu de l'évolution de la situation sanitaire, de nouvelles mesures générales ont été adoptées par un décret du 11 mai 2020, puis par un décret du 31 mai 2020, pour assouplir progressivement les sujétions imposées afin de faire face à l'épidémie.

5. Aux termes de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique, applicable du 24 mars au 10 juillet 2020 par l'effet des lois des 23 mars et 11 mai 2020 : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12. / (...) / Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".

6. L'article L. 1461-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, dispose que : " Le système national des données de santé rassemble et met à disposition : / 1° Les données issues des systèmes d'information mentionnés à l'article L. 6113-7 du présent code ; / 2° Les données du système national d'information interrégimes de l'assurance maladie mentionné à l'article L. 161-28-1 du code de la sécurité sociale ; / 3° Les données sur les causes de décès mentionnées à l'article L. 2223-42 du code général des collectivités territoriales ; / 4° Les données médico-sociales du système d'information mentionné à l'article L. 247-2 du code de l'action sociale et des familles ; / 5° Un échantillon représentatif des données de remboursement par bénéficiaire transmises par des organismes...

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